CHAPITRE V
Le Faucon Millenium laissa Kashyyyk derrière lui. Jaina et Leia étaient assises dans le cockpit, C3PO occupant le poste du navigateur. Suite à une demande inattendue de Streen, Luke escortait les autres sur Yavin 4. Jaina se serait volontiers jointe à eux, mais Leia ne voulait pas ramener le Faucon seule.
L’ordinateur calcula le cap hyperspatial pour Coruscant. Jaina regarda sa mère, minuscule et fragile dans le siège immense que Chewie avait occupé tant d’années. Elle avait à peine desserré les lèvres depuis le départ.
— Je n’ai pas souvent l’occasion de piloter le vaisseau de papa, dit Jaina, espérant arracher sa mère à sa morosité.
Leia sursauta, comme tirée d’une transe.
— Comment ?
— Je disais, je m’étonne que papa me confie son vaisseau.
Leia sourit.
— Tu as battu des records à la Folie de Lando et tu voles avec l’Escadron Rogue… Ton père a une très haute idée de tes capacités.
— J’espère qu’il reviendra bientôt à la maison…
— Ne t’inquiète pas, il se faufilera à bord d’un cargo ou d’un vaisseau marchand et arrivera probablement avant nous sur Coruscant ! Il n’a pas besoin de nous pour ça.
— Ni pour rien d’autre, fit Jaina, pensive.
— Ne confonds pas refuser de l’aide et ne pas en avoir besoin.
— Pourquoi est-il comme ça ?
— Combien de temps avons-nous devant nous ? plaisanta Leia. Histoire d’abréger une longue histoire, ton père n’a pas été élevé comme toi ou moi. Il n’a jamais connu le confort d’une famille et d’un foyer stables. Il a mené une vie tumultueuse : officier de la Marine Impériale, puis contrebandier et héros de la Rébellion… Mais quoi qu’il ait fait, ou ait été, il devait garder confiance en ses aptitudes. Il savait ne pouvoir compter que sur lui-même. Il n’était pas habitué à être aidé. Et quand on a appris très tôt à se passer des autres… on continue.
— Mais il se comporte comme s’il était le seul à qui Chewie manque.
— Il sait que c’est faux. Il a aussi conscience de mal agir. A Sernpidal, après la mort de Chewie, il m’a confié qu’il avait l’impression que le monde n’était plus un endroit sûr. Il s’était persuadé que sa famille et ses proches étaient immunisés contre la tragédie… J’ignore comment nous avons survécu à tout ce qui nous est arrivé. Un miracle ! Cela aussi a contribué à donner à Yan une illusion d’invulnérabilité. La mort de Chewie l’a cruellement détrompé. Il a parlé de la maladie de Mara pour montrer à quel point les choses sont devenues imprévisibles et dangereuses…
« Je ne m’en suis pas aperçue tout de suite, mais je l’avais déjà entendu exprimer des doutes de ce genre. Quand Jacen, Anakin et toi avez été kidnappés par Hethrir… Te rappelles-tu combien il était devenu protecteur par rapport à vous ?
— Pas vraiment.
— Tu étais très jeune. Mais crois-moi, pendant des mois, ton père ne vous laissait plus un instant filer hors de sa vue. Il joue les sceptiques endurcis. Mais au fond, il est très sensible.
— Pourquoi ne se rapproche-t-il pas de nous ?
— Il lui faudrait accepter ce qu’il a perdu, et donner libre cours à son chagrin, au lieu de s’isoler du monde entier. Et ça n’est pas dans sa nature.
Jaina se mordilla les lèvres.
— Il reviendra à la maison, n’est-ce pas ? Nous sommes tout ce qui lui reste.
— C’est certain, dit Leia.
— J’espère seulement que ça suffira, conclut C3PO.
Sur l’estrade de la grande salle de convocation de Coruscant, Mif Kumas, l’huissier calibop du Sénat de la Nouvelle République, étendit ses ailes en se levant.
— Sénateurs, je vous conseille de vous abstenir de perturber ces procédures par des cris, justifiés ou pas.
Kumas attendit que le calme revienne. Puis il inclina sa crinière vers la tribune de l’orateur, située à l’opposé de l’estrade.
— Le directeur Bel-dar-Nolek de l’Institut d’Obroa a été identifié. Il mérite qu’on l’écoute.
D’un geste, Bel-dar-Nolek remercia Kumas de son intervention et reprit :
— L’Institut a une réclamation à présenter : la Nouvelle République a failli à son obligation de lui fournir des défenses en cas d’attaque.
Le directeur, un humain à l’embonpoint considérable, portait un costume sur mesure et affectait de marcher avec une canne en bois de greel. Ses bajoues tressautaient quand il parlait.
— D’évidence, Obroa-skai était en danger. Pourtant, les sénateurs n’ont pas jugé utile de prendre les mesures qui s’imposaient. Les Yuuzhan Vong ont fondu sur nous comme des velkers, dévastant nos cités. J’étais en mission sur Coruscant à ce moment-là. Par la suite, j’ai vu les holos.
Des murmures parcoururent l’assemblée. Content de son effet, Bel-dar-Nolek croisa les bras.
Les sénateurs occupaient les rangées de galeries et de balcons qui entouraient la salle. Si l’emplacement n’était pas lié au rang, les places les plus hautes étaient souvent celles des mondes récemment admis au sein de la Nouvelle République. Les délégués siégeant dans les rangées basses avaient tendance à les considérer comme des membres du public plutôt que des participants.
D’une galerie élevée, Thuv Shinev, représentant cent soixante-quinze mondes habités de l’Hégémonie Tion, prit la parole. Un hologramme grandeur nature apparut entre la tribune des orateurs et l’estrade du conseil. Ceux qui doutaient de l’identité du sénateur avaient accès à un protocole d’identification grâce aux écrans miniatures intégrés à leur siège.
— Une armée a été envoyée sur Obroa-skai, rappela Shinev. Nous avons fait tout ce qui était raisonnablement possible.
Bel-dar-Nolek répondit à l’hologramme de Shinev.
— Deux plates-formes de défense Golan et quelques vaisseaux de guerre antiques ne constituent pas une « armée », sénateur.
— C’est tout ce que nous avions, directeur, se défendit le président Borsk Fey’lya, ses yeux violets lançant des éclairs. Je trouve vos récriminations inacceptables, vu les mouvements erratiques de l’ennemi et ses stratégies souvent imprévisibles.
— Président Fey’lya, mon but est d’éviter d’autres erreurs de jugement. Ignorer les appels des mondes de la Bordure Extérieure est une chose, mais laisser une planète aussi importante qu’Obroa-skai tomber entre les mains de l’ennemi…
— Je m’élève contre le chauvinisme manifeste du directeur ! coupa le sénateur d’Agamar. De quel droit Obroa-skai prétend-elle être un centre vital ?
— Parce qu’il est voué à la préservation de la diversité culturelle, Obroa-skai est un monde plus important que d’autres. Je demande qu’on prenne des mesures pour sauver ce qu’il reste de nos archives historiques avant qu’il ne soit trop tard.
— Secrétaire Kumas, dit une voix féminine mélodieuse, je demande à être identifiée.
Kumas étendit ses ailes.
— Le Sénat identifie le sénateur Viqi Shesh de Kuat.
Mince, d’un âge difficile à déterminer, Shesh se leva avec une lenteur étudiée. Les médias s’étaient intéressés à elle, alors qu’elle faisait pratiquement son entrée sur la scène politique. Elle était réputée pour conclure des traités aptes à satisfaire toutes les parties.
— Concernant le sauvetage des archives, directeur, j’avais cru comprendre que des cargaisons entières de documents avaient été transférées dans les locaux de l’Institut, sur Coruscant. Aurais-je été mal informée ?
— Il s’agit d’une fraction de ce que nous espérions sauver ! fit Bel-dar-Nolek, agressif.
Shesh leva les sourcils.
— Pardonnez-moi, directeur, mais le passé compte moins que l’avenir. Certes, la perte d’Obroa-skai est un coup terrible, mais l’armée de la Nouvelle République n’est pas en mesure de reprendre un monde à l’ennemi, alors qu’elle a déjà du mal à défendre les autres. Les Yuuzhan Vong étendent leur conquête aux planètes des Bordures Extérieure et Médiane. Si on ne les arrête pas, ils atteindront le Noyau en moins d’une année standard, Coruscant devenant vulnérable à leur attaque.
— Vous ne m’abusez pas, sénateur ! Obroa-skai a été abandonnée parce qu’elle n’a pas de valeur stratégique. Quand les vaisseaux yuuzhan vong approcheront de Kuat, de Chandrila ou de Bothawui, je doute que la flotte de la Nouvelle République aille voir ailleurs ! Les militaires étaient présents en force à Ithor. Il y avait même la flotte des Vestiges de l’Empire.
— Et Ithor a été violée en dépit de tous nos efforts, rappela Shesh. Vous avez ma sympathie, directeur, mais je ne vois pas quelle action entreprendre.
— Négocier avec les Yuuzhan Vong pour qu’Obroa-skai reste accessible aux savants.
La salle éclata en protestations. Fey’lya se leva, sa fourrure crème hérissée.
— Le Sénat n’a pas pour politique de marchander avec l’ennemi !
— Dans ce cas, je crains que vous ne laissiez pas d’autre choix à l’Institut d’Obroa que de signer une paix séparée avec les Yuuzhan Vong.
— Je vous le déconseille vivement, directeur, dit Shesh. La dernière tentative en ce sens a abouti au meurtre de notre regretté confrère, le sénateur Elegos A’Kla.
— Je tiens Luke Skywalker et les Jedi pour responsables de la mort d’A’Kla ! lança Bel-dar-Nolek, dégoûté. Et de tout le reste ! Où étaient-ils quand Obroa-skai est tombé ? Ils auraient dû protéger un centre culturel galactique !
— Même les Jedi ne peuvent pas être partout à la fois, objecta Fey’lya.
— Peu m’importe ! Je les considère comme responsables, et je blâme aussi l’amiral Traest Kre’fey, de Bothawui, qui est devenu incontrôlable et dangereux.
— J’exige que vous rétractiez sur-le-champ ces infamies ! cria Fey’lya. Vos propos sont délibérément provocateurs !
— Quelles informations détenons-nous sur la genèse de cette guerre ? demanda le directeur, essayant de reprendre le contrôle des débats. Les Jedi affirment que les Yuuzhan Vong ont détruit l’avant-poste d’ExGal sur Belkadan, puis attaqué Dubrillion et Sernpidal. Mais nous n’avons que leur parole… Qui nous dit que les Yuuzhan Vong n’ont pas été poussés par les Jedi à ces actes de guerre ? Se heurtant à de l’hostilité, ils ont réagi par la violence ! Le conflit peut résulter d’un malentendu aggravé par l’attitude des Jedi sur Dantooine et Ithor. Quant à certains éléments de l’armée comme l’amiral Kre’fey et l’Escadron Rogue, ils n’ont certes pas arrangé les choses !
Bel-dar-Nolek marqua une pause, histoire de souligner ses propos.
— Où sont les Jedi en ce moment ? Où est l’ambassadrice Leia Organa Solo ? Ne fut-elle pas la première à porter à votre attention l’existence des Yuuzhan Vong ?
Le conseiller aldéraanien Cal Omas se leva.
— L’ambassadrice Leia Organa Solo est absente pour raisons personnelles.
— De plus, je rappelle au directeur Bel-dar-Nolek qu’elle ne représente pas les Jedi, dit Shesh.
— Qui les représente, alors ? Pourquoi ont-ils le droit d’entreprendre des actions sans en référer au Sénat ni à la Défense ? Nous sommes la Nouvelle République ! Ne nous montrons pas plus faibles que l’Ancienne, qui avait les Jedi sous sa coupe ! Qu’attendent les Jedi ? Craignent-ils les Yuuzhan Vong, ou ont-ils des buts cachés ? Mettons un terme à leur conduite irresponsable et ouvrons des négociations avec les Yuuzhan Vong. Sans utiliser les Jedi comme intermédiaires.
Viqi Shesh fut la première à parler quand la clameur diminua.
— Sénateurs, d’évidence, le directeur Bel-dar-Nolek n’est ni un politicien ni un stratège. (Elle attendit que les rires et les applaudissements se calment.) Ne laissons pas la zizanie s’installer dans nos rangs. Et que la chute d’Ithor et d’Obroa-skai n’entame pas la confiance que nous accordons aux Jedi. Vous serez d’accord avec moi, je le sais, quand j’affirme qu’affaiblir les Chevaliers Jedi revient à nous priver de notre meilleur atout.